Chapitre X : Le Fracassement

«Tu y étais, quand tout a commencé?» demanda Vinmar.

«Oui. Le premier jour.» répondit Durgen, l’air farouche.

«Comment était-ce?»

Le vieux nain secoua la tête. «Je n’aime pas le raconter. Il est mieux parfois d’oublier certaines choses».

«Je t’en prie.» supplia le jeune humain. «J’ai grandi dans l’enceinte de Qeynos. Bien sûr la cité n’a pas été épargnée, mais je n’ai rien vu de la catastrophe réelle. J’ai rencontré une Teir’Dal qui affirmait avoir été à Port-Franc le jour où tout a commencé, et qu’elle vit un quartier entier de la ville se…»

«Ca suffit!» gronda le nain en frappant violemment le comptoir de sa choppe de bière. «Tu bavasses comme si tout ceci n’était qu’un conte pour enfants qui te distraies. J’ai perdu des compagnons dans le Grand Fracassement. J’ai perdu des frères. Toi, tu t’es caché dans les jupes de ta mère et tu as sali tes couches, petit. Tu ne sais rien de ce qui s’est passé.»

Vinmar resta silencieux un moment. «J’ai perdu mon père. Il était premier maître sur un navire qui allait chercher des réfugiés, lorsque les mers devinrent dangereuses et folles. Ma mère l’avait pourtant suppliée de ne pas partir, mais il disait que c’était son devoir. Il ne revient jamais.»

Durgen observa fixement le jeune homme, longuement, puis il parla à nouveau, doucement. «Quel âge avais-tu quand ton père disparut?»

«Je n’étais pas encore né» répondit-il. «Ma mère découvrir qu’elle me portait en elle une semaine après que le navire disparut. Jusqu’au jour de ma naissance, elle errait chaque jour à minuit sur les quais. Elle restait là, et regardait les navires rentrant en ville. Elle ne voit jamais celui de son époux.»

Durgen but une longue rasade de bière. «J’ai vécu de nombreuses années dans les Karanas. Je m’y étais installé, avec mes trois frères.»

«Tu était un fermier?»

Le nain s’étouffa. «Nonpetit! j’étais un voleur!»

«Ah…» répondit nerveusement Vinmar.

«Inutile de vérifier ta bourse. J’ai abandonné depuis longtemps cette vie. Mais autrefois, mes frères et moi semions la terreur dans les plaines. Brell’s Brigands, ainsi nous appelait-on. Rien ne v-nous réjouissait plus que la vue d’une caravane d’un riche marchand cheminant dans la campagne alentour, car nous savions qu’elle nous appartiendrait vite.»

«Alors vous voliez aux riches pour donner aux pauvres?»

«Ha!» le nain toussa bruyamment. «Nous volions aux riches et gardions tout! enfin, nous en laissions aussi sur les tables de jeu de Highkeep. Nous avions la fièvre du jeu et des femmes dans ce vieux château. Nous y perdions notre argent aussi vite que nous l’avions volé, mais la vie était belle!»

«Donc, comment cela commença-t-il?»

Le vieux nain perdit son sourire et caressa sa barbe noueuse. «Nous allions vers l’est. Nous venions juste de détrousser de riches hauts-elfes et étions très contents de nous. Il y avait un village près des confins est de la plaine, seulement des fermiers et des éleveurs. Nous ne les avions jamais harcelés, car voler à d’honnêtes gens de la terre n’était pas dans nos manières. Nous avons abreuvé nos chevaux, et c’est à ce moment que nous l’avons remarqué.»

«Remarqué quoi?» demanda Vinmar.

«Le silence. Aucun oiseau ni bête, rien, tout était silence. Le vent avait cessé. Tout était immobile. C’était sinistre et terrifiant, crois-moi. Mes frères et moi nous regardèrent, nous interrogeant des yeux. Puis les animaux devinrent fous. Les oiseaux piaillaient, les chevaux s’agitaient et devenaient agressifs. Quelques instants plus tard, le sol se mit à trembler, je n’avais jamais vu ça.»

Durgen fit une pause, et but à nouveau. Même sous le large et velu sourcil du nain, Vinmar lisait la tristesse dans ce regard perdu dans le lointain.

«Mes frères et moi furent balayés au sol, et tu sais que renverser des nains demande une force colossale. Chaque maison du bourg commença à s’effondrer, et les gens couraient en tous sens. Des fissures fendirent la terre, ouvrant de larges brèches. De nombreux animaux y furent engloutis.

«Nous ne pouvions quasiment pas nous tenir debout. Le sol se déchirait tout autour de nous. Je me rappelai les récits de la Bataille du Défi, et soudain que je sentis comme l’un de ces orcs terrassés par Brell. Je ne savais pas si les dieux nous réduisaient à néant, mais j’étais proche de cette pensée en cet instant-là.»

«Qu’avez-vous fait?»

«Nous avons essayé de fuir. J’étais le plus lent et courrais derrière eux. Bergen et Bormen n’étaient qu’à quinze pas devant moi quand la terre s’ouvrit sous eux. Ils disparurent en un instant.»

Vinmar détourna silencieusement le regard, pendant que le nain reprenait ses esprits. Durgen resta muet un long moment.

«Curnen et moi ne purent rien faire pour les sauver. Nous étions choqués, figés, pensant que nous serions les prochains. J’ai regardé alentours et vit que tout était incroyablement déchiré, détruit, dispersé en tous sens. Une famille de halflings courrait vers nous, et je vis leur petite fille glisser quand le sol se déroba sous elle. Elle hurlait, appelait sa mère.

«Par les dieux!» s’exclama Vinmar. «Ses parents purent l’aider?»

«Chacun tenait déjà un enfant de chaque main. Ils ne pouvaient rien tenter dans risquer la vie d’un autre de leurs enfants. Sans même réfléchir j’attrapai Curnen et nous fonçâmes vers la fillette. Je hurlai à mon frère de me tenir les chevilles, attrapai les petites mains de l’enfant et la tira hors de la fissure béante. Nous courûmes rejoindre ses parents à l’abri.»

«Que devint le village?» demanda Vinmar.

«J’ai regardé en arrière. Il n’y avait plus rien. Pas une maison, pas un bâtiment debout. La terre s’était ouverte, et avait creusé une dépression là où auparavant était la maison de cette famille. Durant les jours où nous voyageâmes vers Qeynos, nous vîmes encore plus de désolation. Des ponts détruits, des routes déchiquetées, et des morts partout. Mais ce n’était que le début. De nouveaux séismes se produisirent encore et encore, amenant toujours plus de dévastation, et se succédaient à un rythme de plus en plus rapide. Les océans devinrent déments et impraticables. Les vents crachaient le feu ou l’orage selon le jour. Les prêtres priaient les dieux élémentaux pour qu’ils reviennent et ramènent l’équilibre, mais il n’y eut aucune réponse. Tout Norrath se déchirait.»

«Tu as agi en héros, en sauvant cette fillette»

«Bah, quel héros» s’étouffa Durgen. «Je n’ai pas pu sauver mes propres frères. Rien de ce que nous fîmes ne compte.»

«Ce n’est pas la vérité» répondit une petite voix. Vinmar et le nain se retournèrent et virent la serveuse, une jolie halfling, debout devant eux. «Ce que tu fis changea la vie de ma famille, et particulièrement la mienne. La fillette que tu as sauvée ce jour-là, eh bien, c’était moi. Et j’ai toujours voulu remercier le courageux nain qui avait risqué sa vie pour sauver la mienne.»

Le jeune humain sourit. «Regarde, tu vois, tu es un héros!» dit-il à Durgen.

«Non» répondit le nain. «Je ne suis qu’un brigand à la retraite qui traîne trop dans les auberges. Cherche tes héros ailleurs, petit.»

«Absurdité!» affirma la jeune halfling. «Les héros se révèlent dans les temps de tragédie. Quoi que tu aies fait auparavant, ce jour-là tu t’es révélé. Et je te serai à jamais reconnaissante.» Elle grimpa sur le tabouret de bar et déposa un baiser sur le nez du nain. Sous ses cheveux hirsutes, il sembla rougir.

«Une tournée alors!» Vinmar s’adressa à l’aubergiste. «Et un toast à Durgen!»

«Un toast à mes frères» ajouta le nain.

«A toutes les âmes disparues» dit la halfling.

Le trio hocha la tête et but en silence, pensif et reconnaissant pour ce qui existait encore.

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